Allocution de ‘Abdu’l-Bahá sur la nature humaine

Publié le : 2013/08/05

Résidence Maxwell, le 3 septembre 1912

La nature est le monde physique. Lorsqu’on l’observe, on voit qu’elle est obscure et imparfaite. Par exemple, si on laisse un terrain à l’état naturel, il se couvrira vite de ronces et de chardons ; des mauvaises herbes inutiles et une végétation sauvage y prospéreront et il se transformera en une véritable jungle. Les arbres y seront stériles, sans beauté ni symétrie; des animaux sauvages, des insectes nuisibles et des reptiles se multiplieront dans ses sombres recoins. C’est là l’inachèvement et l’imperfection de la nature. Pour changer ces conditions, il nous faut déblayer le terrain et le cultiver, afin que poussent des fleurs, au lieu de ronces et de mauvaises herbes. Autrement dit, il faut éclairer le monde obscur de la nature. Dans leur état primitif naturel, les forêts sont obscures, menaçantes, impénétrables. L’homme les expose à la lumière, élimine le fouillis des broussailles et plante des arbres féconds. Les régions boisées et la forêt vierge sont bientôt transformées en vergers productifs et en jardins magnifiques. L’ordre a remplacé le chaos, la culture de la terre a éclairé et illuminé le règne obscur de la nature.

S’il est laissé à l’état naturel, l’être humain deviendra inférieur à l’animal et de plus en plus ignorant et imparfait. Les tribus sauvages d’Afrique équatoriale en sont la preuve. Laissées à l’état naturel, elles sont tombées dans la barbarie extrême, allant à l’aveuglette dans un monde de ténèbres mentales et morales. Si on veut éclairer ce plan obscur de l’existence humaine, il faut libérer l’homme de la captivité stérile de la nature, l’éduquer et lui montrer la voie de la lumière et de la connaissance, jusqu’à ce qu’affranchi de son état d’ignorance, il acquière sagesse et savoir. De sauvage et vindicatif, il devient civilisé et bon ; jadis mauvais et menaçant, il est désormais doté des qualités célestes. Mais laissé à son état naturel, sans éducation ni formation, il deviendra inévitablement plus dépravé et brutal que l’animal, jusqu’à ressembler aux tribus africaines qui pratiquent le cannibalisme. Il est donc évident que la nature demeure incomplète et imparfaite tant qu’elle n’est pas éveillée et éclairée par la lumière et l’impulsion de l’éducation.

De nos jours, de nouvelles écoles philosophiques soutiennent aveuglément que la nature est parfaite. S’il en est ainsi, pourquoi les enfants sont-ils formés et éduqués dans des écoles, et à quoi servent les longs cours de sciences, d’arts et de lettres des collèges et des universités ? Qu’adviendrait-il si l’humanité était laissée à l’état naturel, sans éducation ni formation ? Toutes les découvertes et les réalisations scientifiques résultent de la connaissance et de l’éducation. Le télégraphe, le phonographe, le téléphone existaient à l’état latent et virtuel dans la nature, mais jamais ils n’auraient atteint la réalité observable si l’homme n’avait pu, grâce à l’éducation, pénétrer et découvrir les lois qui les régissent. Tous les merveilleux progrès et miracles de ce que nous appelons civilisation seraient restés cachés, inconnus et, pour ainsi dire, inexistants, si l’être humain était demeuré à l’état naturel, privé des faveurs, des bénédictions et des bienfaits de l’éducation et de la culture intellectuelle. La différence essentielle entre l’homme ignorant et le fin philosophe est que le premier n’a jamais été libéré de son état naturel, alors que le second a obtenu une formation et une éducation systématiques, dans des écoles et des universités, jusqu’à ce que son esprit s’éveille et s’ouvre aux sphères supérieures de la pensée et de la perspicacité ; hormis cela, ils sont tous deux humains et naturels.

Dieu a envoyé les prophètes dans le but d’éveiller l’âme humaine à des perceptions supérieures et divines. C’est dans ce but remarquable qu’il a révélé les livres célestes. C’est pourquoi le souffle de l’Esprit saint a pénétré dans le jardin du cœur humain, les portes du royaume de Dieu se sont ouvertes à l’humanité et les inspirations célestes sont venues. Ce pouvoir divin et idéal a été conféré à l’homme afin qu’il se purifie des imperfections de la nature et élève son âme jusqu’au royaume de la puissance et du pouvoir. Dieu a voulu que les ténèbres de la nature soient dispersées et que les imperfections naturelles soient effacées par le reflet brillant du Soleil de vérité. Les prophètes de Dieu ont toujours eu pour mission de former les âmes humaines et de les libérer de l’esclavage des instincts naturels et des inclinations matérielles. Ils sont comme des jardiniers, et l’humanité est le champ qu’ils cultivent, la nature sauvage et la forêt vierge dans laquelle ils œuvrent. Ils redressent les branches tordues, ils rendent féconds les arbres stériles et, peu à peu, ils font de ce grand champ sauvage et inculte un verger magnifique, productif et fécond.

Si la nature était en soi parfaite et complète, l’humanité n’aurait nul besoin de formation ni de culture, nul besoin d’enseignants, ni d’écoles, ni d’universités, ni d’arts, ni de métiers. Les révélations des prophètes n’auraient pas été nécessaires, et les livres célestes auraient été inutiles. Si la nature était parfaite et satisfaisante pour l’humanité, nous n’aurions besoin ni de Dieu ni de croire en lui. Par conséquent, toute cette aide et tous ces instruments prodigués pour que nous puissions accéder à la vie divine l’ont été parce que la nature est incomplète et imparfaite. Songez à ce pays qu’est le Canada, au début de l’histoire de Montréal, alors que le territoire était dans un état sauvage, inculte et naturel. Le sol était improductif, rocailleux et pratiquement inhabitable, de vastes forêts s’étendant dans toutes les directions. Quel pouvoir invisible a pu permettre à cette grande métropole de naître dans des conditions si sauvages et inhospitalières ? C’est l’esprit humain. La nature et l’incidence des lois de la nature étaient donc imparfaites. L’esprit humain a corrigé et éliminé cette imperfection et nous voyons aujourd’hui qu’une grande ville a remplacé une région hostile et sauvage. Avant la venue de Colomb, toute l’Amérique était une étendue inculte et sauvage de forêts primitives, de montagnes et de rivières, l’essence même de la nature. Elle est maintenant devenue le domaine de l’homme. Autrefois obscure, hostile et sauvage, elle est aujourd’hui éclairée par une grande civilisation et par la prospérité. Les forêts ont été remplacées par des fermes prospères, de beaux jardins et des vergers fertiles. Les ronces et la végétation inutile ont fait place aux fleurs, aux animaux domestiques et aux champs prêts pour la moisson. Si la nature était parfaite, la réalité de ce grand pays serait restée inchangée.

Si un enfant est laissé à l’état naturel et privé d’éducation, il grandira assurément dans l’ignorance et l’analphabétisme, ses facultés mentales seront endormies et faibles; en fait, il ressemblera à un animal. Cela se voit chez les peuples sauvages d’Afrique équatoriale, dont le développement mental ne dépasse pas beaucoup celui de l’animal.

Il est donc indéniable que la splendeur du Soleil de vérité, la parole de Dieu, a été la source et la cause de l’évolution et de la civilisation humaines. La nature est le royaume de l’animal. Dans son état naturel et sur ce plan restreint, l’animal est parfait. Les prédateurs féroces sont entièrement soumis aux lois de la nature dans leur développement. Ils ne reçoivent ni éducation ni formation ; ils sont incapables de raisonnement abstrait et d’aspirations intellectuelles ; ils n’ont aucun contact avec le monde spirituel et ne peuvent concevoir ni Dieu ni l’Esprit saint. L’animal ne peut ni reconnaître ni saisir le pouvoir spirituel de l’homme, et il ne fait aucune différence entre l’homme et lui-même, parce que sa sensibilité se limite au monde sensible. Il est esclave de la nature et des lois naturelles. Tous les animaux sont matérialistes. Ils ne reconnaissent pas Dieu et n’ont aucune conscience d’un pouvoir transcendant existant dans l’univers. Ils ne connaissent ni les prophètes divins ni les livres saints ; ils sont simplement prisonniers de la nature et du monde sensible. En fait, ils sont semblables aux grands philosophes de notre époque qui n’ont de relation ni avec Dieu ni avec l’Esprit saint : ils ne reconnaissent pas les prophètes et ignorent tout de la sensibilité spirituelle, ils sont privés des faveurs célestes et ne croient en aucune puissance surnaturelle. L’animal vit ainsi une vie parfaite et sereine, tandis que les philosophes matérialistes travaillent et étudient pendant dix ou vingt ans dans des écoles et des universités, niant l’existence de Dieu, de l’Esprit saint et de l’inspiration divine. L’animal est même un plus grand philosophe, car il arrive à faire de même sans travailler ni étudier. Par exemple, la vache ne reconnaît ni Dieu ni l’Esprit saint, ignore tout de l’inspiration divine, des faveurs célestes ou des émotions spirituelles, et ne connaît rien du monde du cœur. Comme les philosophes, elle est prisonnière de la nature et ne connaît rien de ce qui se trouve au-delà des sens. Les philosophes, toutefois, en tirent gloire et déclarent : « Nous ne sommes pas englués dans des superstitions. Nous faisons implicitement confiance aux impressions sensorielles et ne connaissons rien d’autre que la nature, qui contient et englobe tout. » Mais la vache, sans études ni compétences scientifiques, modestement et en silence, voit l’existence de la même manière et vit en harmonie avec les lois de la nature, dans la plus grande dignité et la plus grande noblesse.

Mais là n’est pas la gloire, pour l’homme. Pour lui, la gloire est de connaître Dieu et la sensibilité spirituelle, d’accéder aux pouvoirs transcendants et aux faveurs de l’Esprit saint. La gloire, pour l’homme, est de prendre connaissance des enseignements de Dieu. C’est là la gloire de l’humanité. L’ignorance n’est pas gloire mais obscurité. Est-il possible que ces âmes qui croupissent dans la plus profonde ignorance connaissent les mystères divins et les réalités de l’existence alors que Jésus-Christ les aurait ignorés ? L’intellect de ces gens est-il plus grand que celui du Christ ? Le Christ était céleste, divin et appartenait au monde du Royaume. Il incarnait la connaissance spirituelle. Son intellect était supérieur à celui de ces philosophes, sa compréhension plus profonde, sa perception plus aiguë, son savoir plus parfait. Pourquoi alors a-t-il fermé les yeux sur tout ce que contient ce monde et s’en est-il privé ? Il attachait peu d’importance à cette vie matérielle, refusait le repos et la tranquillité, acceptait les épreuves et endurait volontairement les vicissitudes parce qu’il était doué de sensibilité spirituelle et du pouvoir de l’Esprit saint. Il voyait la splendeur du royaume de Dieu, il incarnait les faveurs divines et possédait des pouvoirs parfaits. La lumière de l’amour et de la miséricorde brillait en lui, comme en tous les prophètes de Dieu.