Une héroïne de Zanján

Publié le : 2019/09/10

L’intrépidité de Zaynab pendant le soulèvement de Zanján démontre le pouvoir de la Révélation de Báb à arracher les voiles des traditions du passé.

Walled Enclosure Zengan By Eugène Flandin Image 2

Un dessin intitulé « Enceinte fortifiée de Zanján», d’Eugène Flandin, qui parcourut plusieurs villes de Perse de 1839 à 1841.

On eut une preuve supplémentaire de l’esprit de renoncement sublime qui animait ces vaillants compagnons par le comportement d’une jeune villageoise qui, de son plein gré, vint partager le sort du groupe de femmes et d’enfants qui s’était joint aux défenseurs du fort. Elle s’appelait Zaynab et venait d’un hameau des environs de Zanján. Elle était avenante et belle, animée d’une foi élevée, et douée d’un courage intrépide. La vue des épreuves et des difficultés que ses compagnons devaient endurer suscita en elle une irrésistible envie de se déguiser en homme et de contribuer à repousser les attaques répétées de l’ennemi. Elle mit une tunique et un couvre-chef semblables à ceux de ses compagnons, se coupa les tresses, s’attacha une épée à la ceinture et, s’emparant d’un fusil et d’un bouclier, s’introduisit dans leurs rangs. Personne ne la soupçonna d’être une femme lorsqu’elle sauta pour aller prendre place derrière la barricade. Dès que l’ennemi chargea, elle dégaina son épée et, lançant le cri de « Yá Sáhibu’ z-Zamán », se jeta avec une incroyable audace sur les forces déployées contre elle. Amis et ennemis furent ce jour-là émerveillés par un courage et une habileté dont ils n’avaient jamais vu d’égal. Elle fut considérée par ses ennemis comme un fléau qu’une Providence en colère leur avait envoyé. Écrasés par le désespoir, ils abandonnèrent leurs barricades et fuirent honteusement devant elle.

Hujjat, qui observait les mouvements de l’ennemi d’une des tourelles, reconnut Zaynab et fut émerveillé par la vaillance dont elle faisait preuve. Elle s’était mise à poursuivre ses assaillants lorsqu’il donna l’ordre à ses hommes de la prier de retourner au fort et de renoncer à sa tentative. « Aucun homme », l’entendit-on dire au moment où il regardait la jeune fille plonger dans le feu dirigé contre elle par l’ennemi, « n’a montré autant de vitalité et de courage. » Lorsque Hujjat l’interrogea sur le mobile de son comportement, elle fondit en larmes et dit: « Mon cœur souffrait de pitié et de tristesse lorsque je voyais la peine et les souffrances de mes condisciples. J’avançai, poussée par un appel intérieur auquel je ne pouvais résister. J’avais peur de vous voir me refuser le privilège de partager le sort de mes compagnons. » « Vous êtes sûrement la même Zaynab, lui demanda Hujjat, qui s’était déclarée volontaire pour rejoindre les occupants du fort ? » « Je le suis, répondit-elle. Je puis vous assurer en toute certitude que personne, jusqu’à présent, n’a découvert mon sexe. Vous seul m’avez reconnue. Je vous adjure par le Báb de ne pas m’ôter ce privilège inestimable qu’est la couronne du martyre, unique désir de ma vie. »

Hujjat fut profondément impressionné par le ton et la forme de cet appel. Il chercha à calmer le tumulte de son âme, l’assura de ses prières en sa faveur et lui donna le nom de Rustam-’Alí, voulant marquer par là son noble courage. « C’est le jour de la résurrection », lui dit-il, le jour où « tous les secrets seront découverts » (24.30) Ce n’est pas par leur apparence extérieure, mais bien par le caractère de leur croyance et la manière de vivre de ses créatures que Dieu les jugera, qu’elles soient hommes ou femmes. Quoiqu’encore une jeune fille d’âge tendre et de peu d’expérience, vous avez fait preuve d’une vitalité et d’une habileté telles que peu d’hommes peuvent espérer vous surpasser. » Il accepta la requête de Zaynab et lui dit de ne pas dépasser les limites que la foi leur avait imposées. « Nous sommes appelés à défendre nos vies, lui rappela-t-il, contre un traître assaillant et non à mener la guerre sainte contre lui. »

Durant une période de non moins de cinq mois, cette jeune fille continua à tenir tête, avec un héroïsme inégalé, aux forces de l’ennemi. Se souciant peu de la nourriture et du sommeil, elle œuvra avec une sincérité fiévreuse pour la cause qu’elle aimait par-dessus tout. Par l’exemple de sa splendide audace, elle ranima le courage des hésitants et leur rappela l’obéissance qu’on attendait de chacun d’eux. L’épée qu’elle portait resta, pendant tout ce temps, à ses côtés. On la voyait, au cours des brefs intervalles de sommeil qu’elle pouvait obtenir, se reposer, la tête sur son arme alors que son bouclier servait à lui couvrir le corps. Chacun de ses compagnons avait la charge d’un poste particulier qu’il devait surveiller et défendre, tandis que cette jeune fille intrépide avait seule la liberté de se déplacer où il lui plaisait. Sans cesse au milieu du combat et au tout premier rang du tumulte qui faisait rage autour d’elle, Zaynab était toujours prête à se précipiter au secours de tout poste que menaçait l’assaillant, et à prêter assistance à tous ceux qui avaient besoin de son encouragement ou de son soutien. Comme la fin de sa vie approchait, ses ennemis découvrirent son secret et continuèrent, bien qu’ils sussent qu’il s’agissait d’une jeune fille, de craindre son influence et de trembler à son approche. Le son aigu de sa voix suffisait à semer la consternation en leurs cœurs et à les remplir de désespoir.

Un jour, voyant que ses compagnons se trouvaient soudain débordés par les forces de l’ennemi, Zaynab courut désespérée chez Hujjat et, se jetant à ses pieds, le supplia, les yeux baignés de larmes, de lui permettre de se précipiter à leur secours. « Ma vie, je le sens, tire à sa fin, ajouta-t-elle. Je puis moi-même tomber sous l’épée de l’assaillant. Pardonnez-moi mes fautes, je vous en supplie, et intercédez en ma faveur auprès de mon maître, pour l’amour de qui je brûle d’offrir ma vie. »

Hujjat fut trop ému pour pouvoir répondre. Encouragée par son silence, qu’elle interpréta comme un acquiescement, Zaynab sortit en courant par la porte et, lançant sept fois le cri de « Yá Sáhibu’z-Zamán », se précipita pour arrêter la main qui avait déjà tué un certain nombre de ses compagnons. « Pourquoi salissez-vous par vos actes le beau nom de l’islám ? » cria-t-elle en bondissant vers eux. « Pourquoi fuir honteusement devant nous, si vous êtes de ceux qui disent la vérité ? » Elle courut aux barricades que l’ennemi avait érigées, mit déroute ceux qui gardaient les trois premières défenses, et était occupée à vaincre la quatrième lorsqu’elle tomba morte sous une pluie de balles. Pas une seule voix, parmi ses adversaires, n’osa mettre en doute sa chasteté ni ignorer le caractère sublime de sa foi et l’endurance de son caractère. Sa dévotion était telle qu’après sa mort, pas moins de vingt femmes, parmi ses connaissances, embrassèrent la cause du Báb. Pour elles, elle avait cessé d’être la fille de paysan qu’elles avaient connue ; elle était désormais l’incarnation même des plus nobles principes de la conduite humaine, une vivante incarnation de l’esprit que seule une foi comme la sienne pouvait manifester.

— Nabíl-i-A’zam, La Chronique de Nabil, p. 511-514.