Les derniers jours de la révélation du Báb
Poursuivant notre série d’histoires tirées de la Chronique de Nabil jusqu’au bicentenaire de la naissance du Báb, nous présentons ici un extrait qui décrit les événements qui ont conduit à son martyre.
Bien que le Grand vazír de Nasiri’d-Dín Sháh ait caché son intention de faire exécuter le Báb, en partie à cause des nombreux admirateurs influents du Báb, une note de la Chronique de Nabil explique : « [Le Báb] le savait lui-même avant l’événement, et le pressentiment ne lui déplaisait guère. Il avait déjà mis de l’ordre dans sa maison, concernant les affaires spirituelles de la communauté babíe […][i]. »
Avant d’être emmené à Tabríz, le Báb a légué à Bahá’u’lláh certains de ses biens terrestres, dont un objet qui exprimait son profond amour et son respect pour « Celui que Dieu rendra manifeste », alors que le soleil de sa propre révélation se couchait et que celui de Bahá’u’lláh allait bientôt se lever.
Une vue éloignée du carré de la caserne à Tabriz, où le Báb a été martyrisé. Photo : Bahá’í Media Bank.
Bien que les forces de l’armée impériale eussent partout triomphé, bien que les compagnons de Mulláh Husayn et de Vahíd aient été successivement abattus dans un carnage impitoyable par les mains de ses officiers, pour les esprits rusés des dirigeants de Tihrán, cependant, il était clair et évident que l’esprit responsable d’un héroïsme aussi rare n’avait en aucune façon disparu, que son pouvoir était loin d’être anéanti. La loyauté que les survivants du groupe éparpillé portaient à leur chef prisonnier restait encore inaltérée. Rien n’avait jusqu’alors réussi, malgré les pertes terrifiantes qu’ils avaient subies, à saper cette loyauté ou à miner cette foi. Loin d’être éteint, cet esprit était devenu plus intense et plus dévastateur que jamais.
Et puis surtout, celui qui avait allumé cette flamme et nourri cet esprit était encore en vie et, malgré son isolement, il pouvait encore exercer pleinement son influence. Même une vigilance toujours en éveil n’avait pu endiguer la marée qui déferlait sur le pays tout entier et qui avait pour force animatrice l’existence prolongée du Báb. Éteindre cette lumière, arrêter le courant à sa source même, et le torrent qui avait causé tant de dévastation s’assècherait de lui-même. Ainsi pensait le Grand vazir de Násiri’d-Dín Sháh. Ôter la vie au Báb semblait à ce ministre insensé le moyen le plus efficace de relever son pays de la honte dans laquelle, pensait-il, il avait sombré.
Pressé d’agir, il convoqua ses conseillers, leur fit part de ses craintes et de ses espoirs, et les mit au courant de ses plans. “Voyez, s’exclama-t-il, l’orage que la foi du Siyyid-i-Bab a provoqué chez mes compatriotes! Seule, à mon avis, son exécution publique permettra à ce pays divisé de recouvrer sa tranquillité et sa paix.’’
Dédaignant l’avis de son conseiller, l’amir-nizam envoya à Navváb Hamzih Mírzá, le gouverneur d’Ádhirbáyján, qui se distinguait des autres princes de sang royal par sa bonté et la rectitude de sa conduite, l’ordre de convoquer le Báb à Tabríz. Il prit soin de ne pas divulguer au prince son véritable but. Le navváb, croyant que l’intention du ministre était de permettre à son prisonnier de regagner sa maison, chargea aussitôt l’un de ses officiers les plus sûrs de se rendre, en compagnie d’une escorte montée à Chihríq où le Báb était encore prisonnier, et de le ramener à Tabríz. Il le recommanda à leurs soins et les pria de faire preuve envers lui de la plus grande considération.
Fidèle aux instructions qu’il avait reçues de Navváb Hamzih Mírzá, cet officier conduisit le Báb à Tabríz et fit preuve envers lui d’un respect et d’une considération extrêmes. Le prince avait chargé l’un de ses amis de loger chez lui le Báb et de le traiter avec une parfaite déférence. Trois jours après l’arrivée du Báb, parvint un nouvel ordre du Grand vazír selon lequel le prince devait procéder, le jour même de l’arrivée du farmán, à l’exécution de son prisonnier.
Quarante jours avant l’arrivée de cet officier à Chihríq, le Báb réunit tous les documents et les tablettes en sa possession, les plaça avec son plumier, ses sceaux et ses bagues d’agate, dans un coffret qu’il confia aux soins de Mullá Báqir, l’une des Lettres du Vivant. C’est à ce dernier qu’il remit également une lettre adressée à Mírzá Ahmad, son secrétaire, dans laquelle il inséra la clef de ce coffret. Il le pria de prendre le plus grand soin de ce dépôt, en souligna le caractère sacré, et pria Mullá Báqir d’en cacher à tous le contenu sauf à Mírzá Ahmad.
Mullá Báqir remit le dépôt entre les mains de Mírzá Ahmad qui, sur l’insistance de Shaykh ‘Azím, l’ouvrit devant nous. Nous nous émerveillâmes de voir, parmi les choses que contenait ce coffre, un parchemin en papier bleu, d’une texture des plus fines, sur lequel le Báb avait, de sa propre écriture dans le style d’un fin shikastih, écrit sous forme d’un pentacle quelque cinq cents versets constitués de dérivés du mot ‘Bahá’. Ce parchemin était parfaitement conservé, absolument immaculé, et donnait l’impression, de prime abord, d’être une page imprimée plutôt qu’écrite. L’écriture était si fine et si enchevêtrée que, vu de loin, le texte apparaissait comme une seule tache d’encre sur le papier. Nous débordions d’admiration devant un chef-d’œuvre qu’aucun calligraphe, croyions-nous, ne pouvait égaler. Ce parchemin fut replacé dans le coffret et remis à Mírzá Ahmad qui, le jour même où il le reçut, partit pour Tihrán. Avant de s’en aller, il nous informa que tout ce qu’il pouvait divulguer de cette lettre était l’injonction qu’elle contenait, selon laquelle le dépôt devait être remis aux mains de Jináb-i-Bahá[1] à Tihrán.
– Nabíl-i-Azám, La Chronique de Nabíl, p. 469-473.
[1] Titre par lequel on s’adressait à Bahá’u’lláh à cette époque.
[i] Note dans La Chronique de Nabil, p. 490, citant : Dr. T.K. Cheyne: « The Reconciliation of Races and religions« , pp. 65-6.)