L’ascension de Bahá’u’lláh
Bahá’u’lláh est décédé tôt le matin du 29 mai 1892, dans le manoir de Bahjí. Shoghi Effendi a écrit ce qui suit à ce sujet :
La nouvelle de son ascension fut immédiatement communiquée au sultán ‘Abdu’l-Hamid, dans un télégramme qui commençait par ces mots: « Le soleil de Bahá s’est couché », et dans lequel le monarque était informé du projet d’enterrer ses restes sacrés dans l’enclos du manoir, projet auquel il donna volontiers son consentement. Bahá’u’lláh fut donc emmené pour son dernier repos dans la pièce la plus septentrionale de la demeure de son gendre qui, des trois maisons contiguës au manoir, à l’ouest, occupait la position nord. Il fut inhumé peu après le coucher du soleil, le jour même de son ascension.
L’inconsolable Nabil, qui avait eu le privilège d’une audience privée avec Bahá’u’lláh pendant sa maladie, et qu’ ‘Abdu’l-Bahá avait chargé de choisir ces extraits constituant la Tablette de la Visitation qu’on récite maintenant dans le très saint tombeau, Nabil qui, dans sa douleur intolérable, se jeta dans la mer peu après la disparition de son Bien-Aimé, décrit ainsi l’agonie de ces journées: « Il me semble que la commotion spirituelle qui s’est emparée du monde de poussière a fait trembler tous les mondes de Dieu … je suis incapable de dépeindre, ni mentalement ni de vive voix, les conditions dans lesquelles nous nous trouvions … Au milieu de la confusion qui régnait, on pouvait voir une multitude de gens, habitant ‘Akká et les villages voisins, se presser dans les champs entourant le manoir, et qui pleuraient, se frappant la tête et exhalant leur chagrin à grands cris. »
Pendant toute une semaine, un grand nombre de pleureurs, riches ou pauvres, restèrent avec la famille endeuillée, prenant part à sa désolation, partageant jour et nuit la nourriture distribuée avec largesse par ses membres. Des notables, parmi lesquels on comptait des shi’ahs, des sunnis, des chrétiens, des juifs et des druzes ainsi que des poètes, des ‘ulamà et des fonctionnaires du gouvernement s’unirent pour déplorer la perte et pour exalter les vertus et la grandeur de Bahá’u’lláh, beaucoup d’entre eux lui rendant un témoignage écrit, en vers et en prose, soit en arabe, soit en turc. Des hommages semblables furent reçus, en provenance de villes lointaines telles que Damas, Alep, Beyrouth et Le Caire. Ces témoignages éclatants furent, sans exception, remis à ‘Abdu’l-Bahá qui représentait maintenant la cause du chef défunt et pour qui, dans ces apologies, les louanges étaient souvent mêlées à l’hommage qu’on rendait à son père.
Et pourtant, ces manifestations exubérantes de chagrin et ces marques de louange et d’admiration, que l’ascension de Bahá’u’lláh avait fait surgir spontanément chez les incroyants de Terre sainte et des pays environnants, ne furent qu’une goutte, comparées à l’océan de douleur et aux innombrables preuves de dévotion sans borne qui, à l’heure où le Soleil de Vérité se coucha, s’échappèrent du cœur des myriades de croyants qui avaient embrassé sa cause, et qui étaient décidés à porter bien haut son étendard, en Perse, en Russie, en ‘Iráq, Turquie, Palestine, Egypte et Syrie.
Avec l’ascension de Bahá’u’lláh se termine une période qui, sous bien des rapports, reste sans parallèle dans l’histoire religieuse du monde. Le premier siècle de l’ère bahá’íe avait atteint maintenant le milieu de son cours. Une époque que nulle période des dispensations antérieures ne surpassa pour sa sublimité, sa fécondité et sa durée, caractérisée, sauf pour un court intervalle de trois ans, par un demi-siècle de révélation continue et progressive, était révolue. Le message proclamé par le Báb avait produit son fruit d’or. La phase la plus importante, sinon la plus spectaculaire de l’âge héroïque, était achevée. Le Soleil de Vérité, l’astre le plus grand du monde, s’était levé dans le Siyáh-Chàl de Tihrán; il avait dissipé les nuages qui l’entouraient à Baghdád, avait subi une éclipse momentanée à Andrinople, en s’élevant vers son apogée, et il s’était finalement couché à ‘Akká, pour ne plus reparaître avant un millénaire complet. La toute nouvelle foi de Dieu, le point de mire de toutes les dispensations passées, avait été proclamée complètement et sans réticence. Les prophéties annonçant son avènement s’étaient remarquablement accomplies. Ses lois fondamentales et ses principes essentiels, la chaîne et la trame de son futur ordre mondial, avaient été clairement énoncés. Sa relation organique avec les systèmes religieux qui la précédèrent et son attitude vis-à-vis d’eux avaient été définies sans erreur possible. Les premières institutions au sein desquelles un ordre mondial embryonnaire était destiné à mûrir avaient été établies indiscutablement. Le covenant, conçu pour sauvegarder l’unité et l’intégrité de son organisation mondiale, avait été irrévocablement légué à la postérité. La promesse d’une unification de toute la race humaine, de la naissance de la paix suprême et du déploiement d’une civilisation mondiale avait été donnée sans contredit. Les sinistres avertissements annonçant les catastrophes qui allaient s’abattre sur les rois, les ecclésiastiques, les gouvernements et les peuples avaient, tel un prélude à une fin aussi glorieuse, été divulgués de façon répétée. Les appels significatifs adressés aux principaux magistrats du Nouveau Monde, avant-coureurs de la mission dont le continent nord américain devait être investi plus tard, avaient été lancés. Le contact initial avait été effectué avec une nation dont l’un des descendants royaux devait adopter la cause bahá’íe avant l’expiration du premier siècle. L’impulsion première avait été donnée qui, au cours des décennies successives, avait conféré à la sainte montagne de Dieu, dominant la plus grande prison, et continuerait de conférer dans les années à venir, d’inestimables bienfaits, tant au point de vue spirituel qu’à l’égard des institutions. Et finalement, les premiers emblèmes d’une conquête spirituelle qui ne devait pas embrasser, avant la fin de ce siècle, moins de soixante pays dans les hémisphères oriental et occidental, avaient été hissés triomphalement.
– Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, chapitre treize.