« Le Maître connaissait le jour et l’heure… »
Shoghi Efiendi et Lady Blomfield écrivent dans « The Passing of ‘Abdu’l-Bahá » :
Nous nous rendons compte maintenant que le Maître connaissait le jour et l’heure où il retournerait au refuge céleste, sa mission sur terre étant terminée. Il veillait cependant à ce que sa famille n’ait aucune prémonition de la douleur qui allait survenir. C’était comme si leurs yeux avaient été voilés par lui, avec l’attention affectueuse qu’il avait toujours eue pour ses
aimés, pour qu’ils ne pussent voir le sens de certains rêves et autres signes de l’issue finale. Ils réalisaient maintenant que c’était par égard pour eux afin que leur force fût préservée pour confronter la grande épreuve lorsqu’elle surviendrait et pour qu’ils ne fussent pas affaiblis par l’angoisse de son anticipation.
Parmi les nombreux signes de l’approche de cette heure où il pourrait dire de son travail sur terre : « c’est fini », les deux rêves suivants semblent remarquables. Moins de huit semaines avant son décès, le Maître conta à sa famille :
« Il semblait que je me tenais debout dans une grande mosquée… à la place de l’Imam lui-même. Je notai qu’un grand nombre de personnes accouraient dans la mosquée ; d’autres et d’autres encore vinrent en foule, prenant leur place en rangs derrière moi jusqu’à ce qu’il y eût une multitude immense. Etant ainsi debout je lançai à haute voix l’appel à la prière ». Soudain la pensée me vint de sortir de la mosquée.
« Lorsque je me trouvai dehors je me dis “Pourquoi suis-je sorti, sans avoir dirigé la prière? Mais cela ne fait rien ; maintenant que j’ai lancé l’appel à la prière, la vaste multitude chantera d’elle-même la prière”. »
Quelques semaines après le rêve précédent le Maître entra ; il venait de la chambre solitaire dans le jardin qu’il avait occupé dernièrement. Il dit : « J’ai fait un rêve, et vis la Beauté bénie… venir à moi et il m’a dit : “détruis cette chambre”. »
La famille qui avait souhaité qu’il vînt dormir dans la maison n’étant pas contente qu’il fût seul la nuit, s’exclama « Oui Maître, nous pensons que votre rêve signifie que vous devez quitter cette chambre et venir dans la maison. » Lorsqu’il nous entendit dire cela, il sourit de façon significative comme s’il n’était pas d’accord avec notre interprétation. Par la suite, nous comprîmes que la « chambre » voulait dire le temple de son corps.
Un mois avant sa dernière heure, le Dr. Sulayman Rafat Bey un ami turc, qui était un invité dans la maison reçut un télégramme lui apprenant la mort soudaine de son frère. ‘Abdu’l-Bahá lui parlant pour le consoler murmura, « Ne soyez pas triste, car il est seulement transféré de ce plan à un plan plus élevé ; moi aussi je serai bientôt transféré, car mes jours sont comptés. » Puis lui donnant doucement de petites tapes sur l’épaule, il le regarda en face et dit « et ce sera dans les prochains jours. » La même semaine il révéla une tablette pour l’Amérique dans laquelle se trouve la prière suivante :
« Ya Baha’i’l-Abha ! (Ô toi la gloire des gloires) j’ai renoncé au monde et à ses gens, j’ai le cœur brisé et je suis douloureusement affligé à cause des infidèles. Dans la cage de ce monde, je bats des ailes tel un oiseau effrayé et aspire tous les jours à prendre mon envol vers ton royaume.
« Ya Baha’i’l-Abha! Fais-moi boire à la coupe du sacrifice et libère-moi. Délivre-moi de ces chagrins et de ces épreuves, de ces afflictions et de ces tourments. Tu es celui qui assiste, qui secours, qui protège, qui tends la main pour aider. »
Le dernier vendredi de son séjour terrestre (le 25 novembre) il dit à ses filles ; « Le mariage de Khusraw doit avoir lieu aujourd’hui. Si vous êtes trop occupées, je ferai moi-même les préparations nécessaires car il doit avoir lieu aujourd’hui… »
‘Abdu’l-Bahá participa à la prière du midi à la mosquée. Lorsqu’il sortit, il trouva les pauvres attendant l’aumône qu’il avait coutume de donner tous les vendredis. Ce jour-là, malgré une très grande fatigue, il demeura debout comme d’habitude pour donner une pièce à chacun de ses propres mains.
Après le déjeuner, il dicta quelques tablettes, ses dernières, à Ruhi Effendi. Lorsqu’il se fut reposé, il marcha dans le jardin. Il semblait être dans une rêverie profonde.
Son cher et fidèle serviteur, Isma’il Áqá, relate :
« Il y a quelque temps, environ vingt jours avant le décès de mon Maitre, j’étais près du jardin lorsque je l’entendis appeler un ancien croyant disant :
“Viens avec moi pour qu’on admire ensemble la beauté du jardin. Vois ce que l’esprit de dévotion est capable d’accomplir ! Il y a quelques années cet endroit fleuri n’était qu’un amas de pierres et maintenant il est verdoyant de feuillages et de fleurs. Ce que je désire c’est qu’après mon départ les amis se lèvent pour servir la cause divine et s’il plaît à Dieu, il en sera ainsi. Avant peu, des hommes vont se lever qui apporteront la vie au monde.”
« Quelques jours après cela il dit : “Je suis si fatigué ! L’heure est venue où je dois tout laisser et prendre mon envol. Je suis trop épuisé pour marcher”. Puis il dit : “C’était pendant les derniers jours de la Beauté bénie alors que j’étais occupé à rassembler ses papiers, qui étaient épars sur le sofa dans la pièce où il écrivait à Bahjí, il se tourna vers moi et dit : ‘Cela ne sert à rien de les ramasser, je dois les laisser et m’en aller.’
« J’ai aussi terminé mon travail, je ne puis rien faire de plus, je dois donc le laisser et partir. »
Trois jours avant son ascension alors qu’il était assis dans le jardin, il m’appela et dit : « Je suis malade d’épuisement. Apportez-moi deux de vos oranges que je les mange pour vous faire plaisir. » Je les apportai, et lui, les ayant mangées, se tourna vers moi et dit : “Tes citrons doux, est-ce que tu en as ?” Il me demanda d’en chercher quelques-uns… J’étais en train de les cueillir lorsqu’il vint jusqu’à l’arbre disant : “Non, c’est que je dois les cueillir de mes propres mains.” Ayant goûté au fruit, il se tourna vers moi et demanda : “Que désires-tu de plus ?” Puis d’un geste pathétique des mains, il dit d’une manière touchante, catégorique, et sans hâte : “Maintenant, c’est terminé, c’est terminé.”
« Ces mots pleins de sens pénétrèrent jusqu’au fond de mon âme. Chaque fois qu’il les prononça, je sentis comme si un couteau était enfoncé dans mon cœur. Je compris ce qu’il signifiait mais je n’eus jamais l’idée que sa fin était si proche. »
– Hasan M. Balyuzi, ‘Abdu’l-Bahá, le Centre de l’alliance de Bahá’u’lláh, pp. 407-410.